Sciences en Mars
Un soir de printemps, le Dr Claudius sort de son labo bien au-delà des heures réglementaires auxquelles il est astreint comme tous ses collègues. Il fait déjà nuit noir et le ciel très pur reste sans lune, inondé de cette seule « obscure clarté qui tombe des étoiles », pense-t-il en termes très cornéliens. Levant le nez vers ce spectacle cosmique, il repère assez vite la tâche rougeâtre de la planète Mars, récent objet d’une efficace médiatisation de la part de ses collègues astronomes et biologistes. Ceux-ci en effet, en liaison directe avec l’ASE et ses engins ExoMars, déclarent avoir repéré des traces d’eau, voire d’acides aminés susceptibles de suggérer l’hypothèse assez plausible que la vie pourrait éventuellement exister sur la planète rouge, etc etc. « Ça, c’est de la recherche gratifiante pour ces spécialistes du ciel », pensa-t-il un peu envieux. Mais aussitôt, il se persuada qu’au-delà de la face lumineuse de cette recherche, la face cachée devait bien ressembler à ce qu’il vivait tous les jours dans son propre labo de chimiste : problèmes de petits et gros sous pour recruter des thésards et assurer le fonctionnement de base du labo, casse-têtes administratifs pour gérer au mieux le mille-feuille des règlements sans cesse plus complexes et chronophages, course éperdue aux honneurs pour s’assurer une carrière minimaliste, indigne de ce nom et j’en passe…Poursuivant sa méditation interstellaire, il se demanda même avec ironie si les petits « bonshommes-chercheurs verts » de là-bas éprouvaient les mêmes difficultés à étudier la Terre que ses collègues la planète Mars !
Soudain, comme il enfourchait son vélo pour rentrer chez soi, (il s’entrainait régulièrement pour effectuer dans quelques semaines une marche militante et vélocipédique pour sauver la planète « sciences ») un curieux grincement attira son attention, qu’il prit tout d’abord pour le frottement d’un patin sur une jante de roues. Puis il aperçut une lueur verdâtre comme un petit nuage toxique qui tournoyait lentement dans ce coin du ciel qu’il observait. Mais brutalement ce rayonnement se mit à fondre sur lui à vive allure. Il était manifestement ciblé par cette chose informe !
« Salut camarade chercheur terrien, chuchota la chose au creux de son oreille, j’arrive de ce point rouge que tu contemplais et j’ai besoin de ton aide ! Je suis moi aussi un rat de laboratoire. Mais au lieu de pouvoir fouiller les coins perdus de l’univers à ma guise, je suis contraint, comme mes collègues de là-bas, de fournir à flux tendu des « inventions » qui servent les intérêts immédiats de mes chefs sous peine de désintégration en énergie pure non recyclable ! Pour le reste, ils se moquent complétement de comprendre l’univers ou de savoir pourquoi votre Terre va si mal, par exemple !
A ces mots, et émus de cette très improbable solidarité interplanétaire entre les recherches d’ici et là-bas, Claudius et la forme entreprirent d’échanger sur les heurs et malheurs des sciences en Mars ou sur Terre et convinrent de la nécessité universelle de se bagarrer pour que ces dernières soient reconnues comme indispensables au bon cours des planètes et au bonheur de leurs habitants. Ainsi soit-il… Mais cette convergence sur les grands principes ne satisfaisait manifestement pas la forme qui cherchait des réponses précises à ses questionnements, outrepassant largement l’entendement du Dr Claudius. Aussi, des chuchotis complices au creux de l’oreille, elle évolua vers des grincements insupportables et des engluements visqueux pestilentiels que Claudius ressentait avec effroi comme un étouffement quasi létal ! Il allait probablement succomber à l’attaque inopinée de cette forme venue du ciel, comme un deus ex machina imposant sa solution suprême aux maux universels des recherches fondamentales!
Suant et s’agitant en tous sens, le Dr Claudius, affalé sur son bureau, se réveilla alors de ce cauchemar interplanétaire. Devant lui, la belle affiche multicolore des « sciences en marche » punaisée sur son mur le considérait dans l’indifférence de son papier glacé. Dans le désordre de son bureau sur lequel il s’était assoupi, trônait une ébauche de projet de recherche à soumettre à la Commission européenne d’ici trois jours. Et ce chapitre intordable sur les « impacts socio-économiques et le business plan» attendus pour son projet lui rappela furieusement le débat engagé avec la forme verdâtre sur les non-sens de la science officielle pour récupérer quelques pécunes de survie professionnelle! La bouche desséchée et le front encore moite, il se remit à son clavier, tapota quelques lignes sans conviction tout en maugréant : « c’est pourtant pas la lune de boucler ce maudit projet… ». Il admit aussi pour se consoler et se donner du courage qu’il n’était pas le seul chercheur déboussolé à tirer des plans foireux sur les planètes…
ASE : Agence Spatiale Européenne
Claude Mirodatos