Un enseignant-chercheur anonyme

D’où viens-tu ? Peux-tu nous dire quelques mots sur l’environnement socioculturel dans lequel tu as grandi ainsi que sur les études que tu as faites ?
J’ai grandis dans une famille « normale » de classe moyenne du Nord de la France, mais avec un très bon capital culturel. Père enseignant du secondaire en physique, mère infirmière libérale (mais son propre père était ingénieur). Comme beaucoup d’enfants d’enseignants, j’ai pu profiter d’une éducation familiale palliant les lacunes de l’éducation scolaire, ainsi que d’une bonne connaissance en interne du système scolaire. Tout ceci m’a permis de suivre une classe préparatoire à Lille et d’entrer sur concours à l’ENS Ulm en 1999, filière physique-chimie. Après, j’ai suivi le parcours classique de l’apprenti-chercheur d’alors : licence, maîtrise, DEA et doctorat en astrophysique. J’ai également passé l’agrégation de physique qui me garantissait un emploi en tant qu’enseignant à l’issue de mon doctorat.

Quand as-tu réalisé que tu voulais faire de la Recherche ? Qu’est-ce qui t’intéressais et qu’est-ce qui t’intéresse maintenant dans ce domaine ?
« Faire de la recherche » n’a jamais été un but en soi pour moi. Mais c’est le meilleur moyen que je puisse imaginer pour travailler « dans » et « au contact de » la science, ce que j’ai toujours voulu faire depuis le plus jeune âge – ç’aurait pu être en biologie, en géophysique, en chimie ; ou en tant qu’enseignant, vulgarisateur, journaliste scientifique. Quant à ce qui m’intéresse, c’est le plaisir de mieux connaître et comprendre le monde qui m’entoure, puis de pouvoir le partager avec d’autres (collègues, étudiants, grand public).

Pourquoi as-tu choisi la France pour continuer dans la Recherche
scientifique ?

Parce que tout le reste de ma vie est en France, et que je ne voulais pas tout reprendre à zéro à l’étranger. Si j’avais dû m’expatrier loin et longtemps pour continuer ce métier, j’aurais probablement quitté la recherche et cherché un autre moyen de rester dans la sphère scientifique (sans doute en tant qu’enseignant agrégé en lycée, puis classes préparatoires).

14994005_blogQue connaissais-tu sur le système de recherche en France avant de débuter ? Qu’en penses-tu maintenant ?
A mes débuts, je n’y connaissais pas grand-chose. Tout juste l’existence des Universités et du CNRS. C’est une fois en doctorat et après des formations spécialisées sur les métiers de la recherche (chercheur, maître de conférences, etc.) que j’ai pu clarifier un peu mes idées. Et même maintenant, 6 ans après mon recrutement, j’aurais du mal à proclamer que je connais bien le système de recherche en France, étant donné les efforts des ministères successifs pour ajouter chacun une couche de complexité sans prendre la peine de supprimer les précédentes…


Quel est ton domaine de recherche ? Où travailles-tu ? Quel est le sujet de ton doctorat ?

Je travaille sur l’étude des atmosphères des planètes, au moyen d’observations spatiales et de modèles plus théoriques. Je suis basé dans un laboratoire en Île-de-France, à une heure de Paris en transports en commun et une demi-heure en voiture.

Concrètement à quoi ressemble une journée de travail pour toi ?
Difficile de parler de journée-type pour un enseignant-chercheur : je peux travailler toute la journée (un grand avantage de ce milieu est de pouvoir choisir librement ses horaires de travail, ce qui à mon sens compense largement les faibles rémunérations malgré le niveau de qualification) au laboratoire comme un chercheur « pur ». Ou bien passer la journée à l’université, quelques kilomètres plus loin, à donner des cours, ou à encadrer des travaux pratiques, ou à surveiller des examens. Ou encore en congrès à l’étranger pour échanger avec des collègues du monde entier. Ce côté varié est pour moi un plus car il évite l’ennui et la routine.

27135556_blogPour terminer, peux-tu nous donner un exemple qui pour toi montre que la Science est intéressante et peux-tu nous dire à ton avis pourquoi la Recherche est importante pour l’avenir de tout le monde?
Je peux vous donner une anecdote tirée de mon domaine de recherche et qui démontre qu’il est absurde de vouloir séparer à tout prix la recherche fondamentale, pure et éthérée dans sa tour d’ivoire, et la recherche appliquée, celle qui améliore la vie des gens au quotidien et/ou qui enrichit les industriels. Dans les années 1970, les premières données des sondes spatiales ont montré que Vénus était couverte de nuages d’acide sulfurique qui se formaient en permanence à partir des gaz de son atmosphère. La compréhension de ces mécanismes a montré l’importance des gaz chlorés dans la chimie atmosphérique de Vénus, même s’ils sont présents en très faible quantité. Or, à partir des années 1980 a débuté, sur Terre, le phénomène du « trou dans la couche d’ozone », qui se formait tous les ans au-dessus de l’Antarctique en été austral. Si l’on a compris si vite que nos propres émissions de gaz chlorés (les CFC, utilisés notamment dans l’industrie du froid) interféraient avec la chimie atmosphérique de la Terre et détruisaient l’ozone qui nous protège des rayons UV du Soleil, c’est en grande partie grâce à notre connaissance préalable de leur rôle dans l’atmosphère de Vénus. Une telle compréhension a grandement aidé pour mettre en place des mesures efficaces à l’échelle mondiale (le protocole de Montréal en 1990) qui ont permis de stopper à présent la progression du trou de la couche d’ozone, qui montre même des signes d’amélioration ces dernières années !