Camille Boutron

D’où viens-tu ? Peux-tu nous dire quelques mots sur l’environnement socioculturel dans lequel tu as grandi ainsi que sur les études que tu as faites ?
Je viens de Paris, j’ai grandi dans une famille d’artistes (comédiens, metteurs en scène), et du coup j’ai été assez naturellement portée vers les lettres et sciences humaines où je me sentais bien plus à l’aise que dans d’autres domaines. Je ne tenais pas plus que cela à faire des études, ni à suivre la “tradition familiale” en embrassant une carriere d’actrice, car ce que je voulais avant tout, ado et jeune adulte, c’était devenir cavalière professionnelle ! Mais bon je n’étais pas très douée et j’ai fini par prendre gout aux études, d’ailleurs mon mémoire de Maîtrise portait sur l’histoire de la participation des femmes aux Jeux Olympiques, une façon de lier ma passion quotidienne avec mes études, en quelque sorte!

Quand as-tu réalisé que tu voulais faire de la Recherche ?
Qu’est-ce qui En fait, j’ai d’abord commencé un cursus en histoire, jusqu’en Maîtrise, car je pensais au départ m’orienter vers le journalisme/ J’avais la bougeotte en fait et après cette maîtrise je suis partie un an, et là j’ai découvert l’Amérique latine, le Pérou en particulier. Quand je suis rentrée en France je voulais absolument retourner là bas mas avec un projet concret et en faisant les choses correctement. j’ai donc ré-emplié pour un DEA (l’ancien M2) à l’Institut des Hautes Etudes sur l’Amérique Latine, et j’ai troqué l’histoire pour la sociologie. Christian Gros, mon directeur de recherche de l’époque, m’a fait confiance et m’a donné l’opportunité que je pouvais poursuivre ma formation de sociologue. Ce que j’ai prouvé en retournant au Pérou pendant sept mois pour faire un terrain sociologique sur les conditions de travail des femmes dans la police péruvienne. Là je me suis rendue compte que je tenais le truc. Le terrain et l’écriture du mémoire de DEA ont été un peu les déclics, là où j’ai compris que je faisais quelque chose qui me permettait d’exploiter mes qualités plutôt que de brimer mes envies.

Par la suite, ce sont mes directeurs de recherche et profs qui ont joué un rôle très important en me poussant à m’inscrire en thèse, et à postuler à une allocation de recherche, que j’ai obtenue, et qui m’a permise de poursuivre sur un doctorat. Mais c’est surtout juste après la soutenance de ma thèse, en décembre 2009 que j’ai vraiment pris la mesure de ce qu’était un chercheure, du métier, et de ses problèmes. En tant que sociologue je pense que nous contribuons à résoudre des nœuds de société et surtout à comprendre les différents enjeux qui les traversent. Pour moi, seule la recherche fondamentale permet de poser de bonnes questions et d’arriver à avoir quelques bonnes réponses, car en sciences sociales, plus encore qu’en sciences dites « dures » (même si je n’aime pas l’idée de différencier les deux), le chercheur a besoin d’une liberté de penser et d’expérimenter sans laquelle ses découvertes ne peuvent être légitimes car influencés ou « commandées » par des groupes de pression qui vont fausser la donne.

Pourquoi es-tu restée en France pour continuer dans la Recherche scientifique ? Que connaissais-tu sur le système de recherche en France avant de débuter ? Qu’en penses-tu maintenant ?
Je me suis spécialisée, entre autres, sur l’Amérique latine. Donc pendant mon DEA puis mon doctorat je passais environ la moitié de l’année au Pérou. Par la suite j’ai fait un premier post-doctorat à l’Université de Montréal, au Québec, et un deuxième pour l’Institut de Recherche pour le Développement, de nouveau au Pérou. J’ai donc passé près de dix ans à l’étranger et je connais bien les différents systèmes universitaires. Pour moi, la France était le meilleur endroit pour faire de la recherche fondamentale. Mais aussi je crois profondément au fait qu’il est important d’enseigner, de mettre à l’épreuve ses connaissances et de transmettre. Ayant pu faire une thèse grâce au système français il me semblait évident de chercher à « rendre la pareille », c’est aussi une question de vocation et de si on décide que le savoir est juste un capital ou aussi un outil d’émancipation. Et j’avais envie de me poser, de rentrer, d’être un peu stable, car ma vie privée a souvent été passée à la moulinette. Je pensais qu’il était légitime de vouloir un poste dans le pays qui m’avait formée, après avoir suivi les « règles du jeu » des post-docs, publications minimum etc. Les choses ont finalement été plus difficiles…

Quel est ton domaine de recherche ? Où travailles-tu ?
Je suis rentrée en France en février dernier après un post-doctorat à l’Institut de Recherche pour le Développement pour lequel j’étais affectée à Lima. Je cherche un poste, ou même une insertion durable dans la vie active, mais il n’y a pas beaucoup d’opportunités. En revanche mes engagements de publications restent tels et croyez-le ou non je suis débordée ! Car je suis dans cette spirale infernale : pas de publis ; pas de cv, pas de cv pas de postes, donc accepter de travailler « gratuitement » pour pouvoir gonfler son cv et « se faire connaître », ce qui est absurde. Je suis donc avant tout financée par Pôle Emploi, en attendant le prochain postdoc, si j’ai de la chance… J’ai demandé à des laboratoires une association, qui est généralement refusée aux jeunes chercheurs sans postes pour ne pas générer « encore plus de précarité ». C’est donc l’isolement le plus total, mais je continue de me mobiliser pour publier, et faire un peu de terrain en ouvrant mes aires de recherche.

Je travaille sur les femmes combattantes, et plus généralement la question du genre et de la violence armée. Ce qui m’intéresse, c’est de reconstruire les trajectoires de femmes ayant pris part à un conflit et de comprendre en quoi l’expérience des armes a chamboulé leur destin, si l’on peut dire ça comme ça. De façon plus précise, je m’intéresse à ce qui arrive aux femmes combattantes après la guerre, en établissant des parallèles entre la discrimination dont elles peuvent être l’objet et la restauration de rapports de domination entre différents groupes sociaux selon le rôle qu’ils ont joué pendant le conflit. J’ai travaillé avant tout sur le Pérou mais j’essaye d’ouvrir sur d’autres aires géographique, notamment l’Asie de Sud (Sri Lanka) ou la Colombie, et j’envisage même de travailler sur la France, en raison des débats soulevés par le rôle des femmes dans l’Islam radical. A l’IRD en revanche j’ai développé d’autres thématiques, en incorporant une équipe mobilisée sur les risques en milieu urbain. J’ai cherché à comprendre, et à faire comprendre, comment les organisations sociales dans les différents quartiers de Lima pouvaient représenter de véritables ressources en cas de catastrophe « naturelle ». Donc j’ai pu investir d’autres sujets, et avoir une casquette de plus.

Es-tu intéressée pour rester en France ? 
Je l’avoue, de moins en moins. Mais l’étranger ne veut pas de moi non plus ! Plus sérieusement, je préfère encore prendre le temps de réfléchir avant de définitivement me tourner vers une carrière Outre (Outre-Manche, Outre-Atlantique etc.). J’aime la France, en tant que société civile je crois que nous avons plus de moyens que dans d’autres pays de nous mobiliser plus de libertés. Et je pense à mes parents, que je n’ai pas envie de voir tous les six mois et un jour ils auront peut-être besoin de moi, si je suis à dix mille kilomètres les choses risquent de se compliquer ! Mon conjoint travaille ici, et je viens tout juste de rentrer. Alors pour le moment je vis dans l’utopie de croire que je vais trouver un moyen de gagner ma vie en faisant ce pour quoi j’ai été formée.

Pour terminer, peux-tu nous donner un exemple qui pour toi montre que la Science est intéressante et peux-tu nous dire à ton avis pourquoi la Recherche est importante pour l’avenir de tout le monde?
On m’a souvent dit que la sociologie n’était pas une science. Les sciences sociales sont en effet volontiers déconsidérées par le public, alors que dans des événements comme Sciences en marche je me rends compte que la cohésion entre sociologues et biologistes peut être très forte ! Nous faisons le même métier, celui de se poser des questions et d’essayer d’y répondre. C’est comme ça qu’on se retrouve avec des centaines d’objets du quotidien qui sont issus de cette dynamique. Or, sans les sciences sociales, ces objets ne verraient pas le jour car la question de leur usage, de leur accessibilité, de comment ils influent sur la société, est incontournable. Et prise en compte par les sciences sociales.

Dans mes recherches à Lima pour l’IRD, concrètement il s’agissait de répondre à un besoin de la Défense Civile péruvienne qui devait se mettre en accord avec une loi parue en 2011 exigeant la participation sociale à la prévention des risques. Je leur ai ainsi proposer une approche que j’estimais cohérente pour penser la question de la participation, non seulement ce que cela veut dire, concrètement, de participer, mais aussi qui et comment, en allant faire du terrain parmi plusieurs organisations à Lima. Et puis mon rôle était aussi de mettre tous ces différents acteurs en relation entre eux pour qu’ils puissent travailler ensemble. C’était génial !