Lorie Trognko
Ex-doctorante. A effectué 2 ans de thèse sur 3.
Actuellement enseignante stagiaire de l’éducation nationale.
Quand as-tu réalisé que tu voulais faire de la Recherche ? Qu’est-ce qui t’intéressais ?
Poursuivre en doctorat semblait pour moi une suite logique dans la mesure où je venais d’être diplômée en 2012 d’un master recherche. Et dans mon cas c’est au contact du monde de la recherche que je me suis rendue compte que je ne voulais pas poursuivre dans cette voie.
Mais auparavant, la science m’avait toujours attirée et la recherche était, dans ma représentation des choses, l’accomplissement d’un cursus universitaire réservé à une élite. Elle offrait la possibilité d’un enrichissement perpétuel de ses connaissances tout en me permettant de maintenir la dimension internationale des contacts et déplacements dont j’avais pris goût en master.
Et qu’est-ce qui t’intéresse maintenant dans ce domaine ?
La réalité est cependant plus nuancée. Si la dimension internationale est bien présente dans certaines thèses proposées, c’est souvent au prix de fortes concurrences entre les équipes collaborant. Cela impose au doctorant pris entre ces conflits d’intérêts de savoir faire preuve de patience, persuasion et de détermination.En effet, les relations que le doctorant entretient avec ses collègues et directeurs de thèse peuvent à elles seules décider du bon déroulement ou non d’une thèse. Or le monde de la recherche étant effectivement réservé à des élites dans différents micro-domaines, il n’est pas rare d’assister à des conflits entre directeurs reposant uniquement sur des problèmes d’ego et dont le doctorant est la première victime. Il est alors bien difficile de s’épanouir dans ce contexte et un sentiment d’abandon en naît.Pour autant, obtenir un doctorat reste très intéressant pour les candidats qui se destinent à rejoindre le monde de l’industrie par la suite. En effet, il est permis de développer un réseau de contacts pendant trois ans et d’acquérir des automatismes de travail qui diffèrent de ceux rencontrés chez les jeunes ingénieurs avec lesquels les diplômés de master sont en concurrence.
Dans mon domaine plus particulièrement, la majorité des docteurs trouvent un emploi dans l’industrie sans trop de difficultés. Beaucoup étant eux-mêmes financés par des thèses CIFRE (partenariat avec un industriel). Si la recherche académique offre peu d’espoir en matière d’offre de postes, les filières R&D de l’industrie et le consulting restent friands de jeunes docteurs.
Pourquoi as-tu choisi la France pour continuer dans la Recherche scientifique ? Que connaissais-tu sur le système de recherche en France avant de débuter ?
Le sujet de thèse qui m’avait été proposé en France me plaisait beaucoup et j’avais eu l’opportunité auparavant de réaliser deux stages dans ce laboratoire avec les chercheurs qui l’encadraient. Pour moi c’était un avantage non négligeable de connaître déjà les lieux, les équipements disponibles, le personnel et les encadrants.
De plus, du fait de la grande notoriété de l’équipe, cette thèse impliquait une collaboration internationale avec une université de renom. J’espérais ainsi pouvoir constituer un réseau solide de contacts.
Qu’en penses-tu maintenant ?
À l’heure actuelle, il me semble que la recherche de financements occupe la majeure partie du temps des chercheurs ayant un poste de permanent. Sans eux, il n’est pas envisageable de mener des recherches sur un sujet étant capable de donner des publications dans des revues scientifiques reconnues. Ces contrats étant souvent peu nombreux, une guerre sans merci est souvent menée parfois même entre les équipes d’un même laboratoire. La recherche de contrats type ANR, planifiant des objectifs de recherche très bien définis à moyen terme contribue alors à la dégradation des relations de travail existantes dans les laboratoires. Le partage des connaissances dans le but commun de faire avancer la science est à l’heure actuelle une utopie à laquelle se raccroche ce petit monde. Pour parvenir à leurs fins, il n’y a pas de place à la courtoisie ou au partage, c’est le fameux « publier ou périr » (publish or perish).
Un autre problème du monde de la recherche en France réside dans le fait que bon nombre des chercheurs sont en réalité « enseignant-chercheur ». Cela signifie que le temps qu’ils ne passent pas à rechercher des financements est réquisitionné par une lourde charge d’enseignement à effectuer. Si leurs interventions en master peuvent être justifiées, il pourrait être demandé à des agrégés de se charger de l’enseignement en cursus de Licence. Cela permettrait de laisser plus de temps aux enseignants-chercheurs pour faire ce pour quoi ils sont principalement recrutés : de la recherche.
En effet, avant de pouvoir prétendre obtenir un poste de permanent dans un laboratoire, il est demandé aux candidats d’avoir certes une expérience d’enseignement et d’avoir un doctorat ; mais aussi de cumuler un certain nombre d’expériences de recherche menées à l’étranger et dans des groupes de renom. Tout cela bien évidement cache le cumul de situations précaires appelées Post-Doc. pouvant durer de 2 à 5 ans au-delà du doctorat. Souvent payés au lance-pierre, les post-doctorants n’ayant pas obtenu de postes après 5 ans voient leurs chances d’être recruté s’effondrer d’année en année. Ayant un profil très académique (donc éloigné des préoccupations de l’industrie), trouver un poste dans l’industrie peut alors s’avérer très difficile.
Pour finir, dans ce milieu très concurrentiel personne n’hésite à faire jouer ses relations pour obtenir un poste ou une publication dans une grande revue scientifique. Les chances de parvenir à ses fins ne sont donc pas les mêmes pour tous et ce système n’est pas prêt d’évoluer.
Quel est ton domaine de recherche ? Où travailles-tu ?
Mon domaine de recherche est la chimie des matériaux. J’ai travaillé au laboratoire CIRIMAT pendant mes deux années de thèse avant de décider de me reconvertir dans l’enseignement. En effet, les perspectives d’avenir qu’offrait la recherche académique ne valaient pas à mon sens les sacrifices exigés (conditions de travail, précarité, salaires bas…). De plus, ayant eu la possibilité d’effectuer des enseignements pendant ma thèse, j’ai pu me rendre compte que cette voie me plaisait largement plus que la recherche.
Concrètement à quoi ressemble une journée de travail pour toi ?
Ma journée de travail débutait à 8H30 par la vérification de ma boîte mail. Ainsi, j’évitais de rater une information importante de dernière minute. En effet, certaines personnes travaillent en décalé dans les laboratoires et les collaborations internationales peuvent donner lieu à des messages qui arrivent dans la nuit. Ensuite je passais dans le bureau de mon chef en chemin vers les laboratoires. Je suivais alors la liste des choses à faire dans la journée que j’avais établie parfois plus d’une semaine à l’avance.
Généralement cela impliquait de me diriger vers les salles de manip’ pour préparer mes outils de travail ou analyser les résultats des expériences lancées la veille. J’assemblais la nouvelle expérience et la lançais avant de partir manger vers 11H30 quand tout se passait bien. Mes expériences pouvaient en effet durer une après-midi, une journée ou plus.
De retour au bureau à 13H, je vérifiais mes mails à nouveau et répondais ou contactais les personnes concernées. Je traitais les données récoltées le matin puis me dirigeais à nouveau vers les salles de manip’ pour préparer l’expérience que j’allais lancer le soir même avant de partir ou le lendemain matin.
Dans la journée il faut bien évidement savoir jongler avec les imprévus (réapprovisionnement en petits équipements, appareils de mesure ou de préparation occupés…) et s’organiser de façon à ne pas perdre de temps (préparation en quantité suffisante des éléments de base…).
Pour terminer, peux-tu nous donner un exemple qui pour toi montre que la Science est intéressante et peux-tu nous dire à ton avis pourquoi la Recherche est importante pour l’avenir de tout le monde?
Il suffit de regarder au cours des âges et plus récemment autour de soi pour se rendre compte que la recherche est source d’innovations et de progrès lorsqu’elle est utilisée de façon éclairée. Que ce soient les sciences « humaines » ou sciences « dures », elles contribuent à notre développement personnel et collectif.
Plusieurs concepts ont été découverts, parfois simultanément à plusieurs endroits, parfois perdus puis redécouverts au fil des besoins. Cela illustre bien à mon sens le caractère utile de la recherche et le fait qu’elle contribue directement à l’accomplissement de l’Homme ; sans quoi ces phénomènes ne se seraient pas produits avec autant d’occurrences au cours de notre histoire.
Pour cela il est primordial de laisser à nouveau une plus grande liberté aux chercheurs dans l’orientation et la planification temporelle de leurs recherches.