Historique du mouvement
L’idée d’une grande marche pour la défense de l’Enseignement Supérieur et la Recherche a été lancée le 3 juin 2014, lors d’une conférence-débat qu’un petit groupe de chercheurs et personnels techniques CNRS avait organisé à Montpellier.
Ce petit groupe comprenait Guillaume Bossis (chercheur), Frédérique Brockly (ingénieure), Olivier Coux (chercheur), Solange Desagher (chercheuse), Stéphan Mora (technicien) et Laurent Villegier (administratif). Le but de cette conférence-débat était d’analyser la situation de l’emploi et des financements de la recherche et de l’enseignement supérieur et d’explorer les formes d’action pouvant convaincre le pouvoir politique d’apporter un véritable soutien à l’Enseignement Supérieur et à la Recherche. Nous avons eu dès le début la conviction qu’il fallait rassembler la communauté scientifique, toutes disciplines confondues, organismes de recherche et universités réunis.
C’est pourquoi nous avions invité Alain Trautmann, immunologiste et fondateur du mouvement Sauvons la Recherche, mais aussi Anne Fraïsse, latiniste et présidente de l’université Montpellier 3, Gilles Halbout, mathématicien et directeur de la faculté des sciences de l’université Montpellier 2, et Marion Layssac, salariée de Sanofi.
Au cours de la discussion avec la salle qui a suivi les interventions, Patrick Lemaire (chercheur CNRS) a lancé l’idée d’une marche sur Paris. L’idée a été relayée par Alain Trautmann lors de la session plénière du CoNRS le 11 juin, puis au cours d’une réunion à Paris-Descartes. Patrick Lemaire, ayant rejoint le petit groupe initial, a sondé ses contacts pour évaluer la mobilisation que pourrait rencontrer un tel mouvement. Les retours positifs nous ont décidé à tous nous lancer dans l’aventure Sciences en Marche.
L’idée a germé, elle a poussé et fait des branches. Sciences en Marche est maintenant une association loi 1901 organisée autour d’un comité de coordination dont vous trouverez ci-dessous les portraits des membres
L’action de Sciences en Marche ne s’est pas arrêtée à l’arrivée de la marche le 17 octobre. Nous continuons à nous battre pour faire reconnaitre l’importance de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche pour l’avenir de notre pays
Composition du comité de coordination de Sciences en Marche
Le comité de coordination de Sciences en Marche a été renouvelé en mars 2015 et est composé de représentants des différents comités locaux qui composent SeM
Je suis chercheur en biologie au CNRS. Je considère que j’ai eu un parcours sans embuches : normalien, j’ai effectué ma thèse à l’IGMM (Montpellier) dans l’équipe de Marc Piechaczyk puis un post-doc de 2 ans en Allemagne avant d’être, à 30 ans, recruté au CNRS dans mon équipe de thèse. J’y développe mes recherches d’une facon que je considère privilégiée en terme de moyens humains et financiers par rapport à bon nombre de mes collègues. Mon expérience du modèle anglo-saxon de la recherche (précarité généralisée, très peu de débouchés dans la recherche publique, certes en partie compensée par une industrie demandeuse de doctorants) m’a fait prendre conscience des atouts du « modèle francais » qui, avant de devenir le modèle hybride incohérent qu’il est devenu aujourd’hui, permettait, malgré un financement insuffisant, une recherche à long terme de qualité.
Je suis chargée de recherche au CNRS et je dirige une petite équipe dont le but est de mieux comprendre les mécanismes de régulation de la mort cellulaire.
Normalienne, j’ai effectué ma thèse au collège de France dans le laboratoire de Jacques Glowinski, et un stage post-doctoral à Genève dans l’équipe de Jean-Claude Martinou. J’ai été recrutée au CNRS à l’Institut de Génomique Fonctionnelle de Montpellier. En 2005, j’ai obtenu un contrat ATIP pour créer ma propre équipe à l’Institut de Génétique Moléculaire de Montpellier. Depuis, j’ai toujours réussi a obtenir les financements nécessaires à notre recherche, mais au prix de beaucoup trop de temps et d’énergie. En temps que scientifique, je n’ai jamais pu accepter l’absurde. La situation de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche est arrivée à un tel point qu’il m’a semblé que nous ne pouvions plus rester sans réagir.
Maître de Conférences en microbiologie à l’université de Lorraine, j’ai été recruté très récemment, et connais donc assez bien la précarité des contrats courts –tout au moins en biologie-, parcours du combattant construit par nos ainés pour décrocher le fameux « poste » tant espéré. Ayant passé les concours dans plusieurs organismes (INRA, CNRS, INSERM), ainsi qu’à l’université, j’ai une bonne vision de la compétition actuelle pour les postes dans l’enseignement supérieur et la recherche. J’ai par ailleurs été président de la Confédération des Jeunes Chercheurs, où j’ai acquis une certaine expertise concernant la valorisation du doctorat, tant dans la recherche publique que vis-à-vis des entreprises et de la fonction publique hors recherche. En effet, il faut avoir à l’esprit que le doctorat est une expérience souvent extra-ordinaire de recherche, mais que les compétences acquises et l’expérience de la recherche doivent être davantage reconnues et mises à profit dans le reste du tissu socio-économique français.
Je suis directeur de recherche à l’Inserm où je travaille dans le champ de la Santé publique. Entre la fin de mon doctorat en 2004 et l’année de ma titularisation en 2007, j’ai vécu l’angoisse au ventre en rêvant de décrocher un poste pour faire le travail que j’aime. Je souhaite aujourd’hui me battre avec tous mes collègues pour faire reculer les gouvernements qui se succèdent, afin de les empêcher d’atomiser la Recherche publique et l’ensemble des services publics et de condamner les salariés qui les font vivre à des vies de précarité. Plus largement, militant syndical (SNTRS CGT) et politique, je suis scandalisé par les inégalités sociales croissantes auxquelles les sociétés humaines font face et par l’aberration et l’horreur que constitue la misère absolue de centaines de millions de personnes sur la planète à une époque où toute la technologie accumulée permettrait de nourrir, loger, instruire et soigner l’ensemble des humains. Tout cela est inacceptable et doit être combattu, via Sciences en marche et plus largement, sans relâche.
Directrice de recherche au CNRS, je travaille actuellement à Nanterre et je suis membre de l’Institut des sciences sociales du politique, qui regroupe des politistes, des sociologues, des historiens et des juristes. Je travaille sur les identités politiques et plus spécifiquement, sur les questions d’attachement aux communautés politiques territorialisées, dont la nation, et leurs transformations dans le cadre de la globalisation. J’utilise essentiellement des données d’entretien.
J’ai fait la première partie de ma carrière à Sciences Po et j’ai eu la chance de passer plusieurs années à l’étranger (Berlin puis Oxford). J’ai choisi de quitter Sciences Po au moment où j’ai été élue à la présidence du Conseil scientifique de l’institut SHS du CNRS, considérant que je ne pouvais pas lutter au sein du CSI contre la politique dite « d’excellence » tout en restant dans une institution qui en est l’avant-garde. J’ai été désignée pour assurer la coordination des instances du Comité national de la recherche scientifique (C3N) et à ce titre, j’ai participé à l’organisation de la « plénière » du mois de juin qui a lancé la mobilisation pour un plan pluriannuel pour l’emploi scientifique. J’ai rejoint le SNTRS-CGT à cette occasion. Je suis sincèrement choquée de la façon dont les personnels titulaires de l’ESR laissent faire les choses, et notamment, acceptent de contribuer à un système qui maltraite à ce point les jeunes qu’il a formés. Je suis également profondément inquiète de voir l’autonomie de la recherche, notamment en SHS, à ce point mise en cause. Je crois aux vertus démocratiques de la recherche libre.
Je travaille à Strasbourg depuis l’an 2000, d’abord dans l’UPR9050 puis le LC1 puis la FRE3211 puis l’UMR7242. On ne dirait pas ainsi, mais je suis en fait toujours dans la même équipe au même endroit, dans les locaux de l’Ecole Supérieure de Biotechnologie de Strasbourg, seulement entre temps plusieurs projets d’unité se sont montés puis détricotés (rapports, pré-audits, auditions, évaluations à mi-parcours, évaluations, changement de sujets, regroupements d’équipes, chaises musicales dans les étages) de quoi occuper les chercheurs à ne pas faire de la recherche.
En l’an 2000, mon laboratoire était une unité propre du CNRS, entre temps il était co-géré avec l’université Louis Pasteur de Strasbourg puis depuis 2009 avec l’Université de Strasbourg (combien d’argent au cabinet conseil pour monter dans les classements de Shangai ?). Université de Strasbourg, qui, me direz-vous est à Strasbourg ? oui mais en fait est associée à l’Université de Haute-Alsace à Mulhouse, université qui peut utiliser la “marque” Université de Strasbourg pour ses clients les étudiants, tout comme les écoles d’ingénieurs maintenant associées et pourquoi pas bientôt une association avec l’université de Lorraine (à cheval entre Nancy et Metz) quand les régions ne feront qu’une ? (parce que Big is Beautiful). Voilà donc de quoi occuper les universitaires à ne pas chercher et à ne pas transmettre leur connaissance mais à perdre l’identité de ce qu’est l’université.
J’ai fait un DEA (master 2 maintenant) de microbiologie dans l’équipe de Dick D’Ari (Institut Jacques Monod), un américain à Paris qui analysait comment la bactérie Escherichia coli se divise et se multiplie (cycle cellulaire). J’ai réalisé mes travaux de recherche de thèse en biologie cellulaire à Heidelberg dans l’équipe de Kai Simons, grand « rafteur» pour les connaisseurs (European Molecular Biology Laboratory, EMBL). Cette équipe analysait comment une cellule épithéliale devient polarisée avec deux membranes en contact avec des tissus différents, une morphologie essentielle pour leur fonction cellulaire (grâce au transport polarisé des protéines soit vers la membrane apicale soit vers la membrane basolatérale). Post-doctorante durant 3 ans dans l’équipe “Dynamique des récepteurs couplés aux protéines G” dirigée par Jean-Luc Galzi (Ecole Supérieure de Biotechnologie de Strasbourg ESBS), j’ai été recrutée CR1 après 2 années successives de concours CNRS dans cette même équipe avec le projet de découvrir de nouvelles protéines qui, à l’intérieur de la cellule, participent à la réponse cellulaire, suite à l’activation de cette vaste famille de récepteurs à la surface des cellules. Pour apprendre de nouvelles techniques d’analyse d’interaction de protéines en cellules vivantes, je suis allée travailler à Montréal comme chercheur invitée entre 2006 et 2007 dans le laboratoire de Michel Bouvier (Institut de Recherche en Immunologie et en Cancérologie IRIC) et j’ai ainsi participé à la compréhension au niveau moléculaire d’une maladie génétique d’obésité précoce chez les enfants (merci au CNRS pour permettre les mises à dispositions de ses employés).
Mes travaux de recherche fondamentale, qui analysent où, quand et comment les protéines s’associent dans la cellules pour se transmettre un message venu de l’extérieur de la cellule (analyse des mécanismes moléculaires de la signalisation des récepteurs couplés aux protéines G) ne sont plus financés depuis 2009 (échec aux demandes d’ANR jeune chercheur pendant 3 années successives), et j’essaie de ne plus perdre de temps à rédiger des demandes de financements infructueuses pour me consacrer à mes expériences (see Peter Lawrence white lies ). Parce que découvrir un peu tous les jours, c’est toujours ce que je préfère: être émerveillée par un résultat imprévu, aller un peu fouiller un résultat difficile à reproduire, être rigoureuse, vérifier, répéter, douter, réfléchir, échanger. C’est mon job ! C’est un peu plus dur quand on n’a pas d’argent mais heureusement dans mon domaine de recherche très lié à la pharmacologie et donc à la santé humaine, il y a toujours un peu de matériel à partager avec les collaborateurs plus chanceux.
Grâce à Sauvons la Recherche (merci à Alain Trautman et ses collègues), Sauvons l’Université et maintenant Sciences en Marche (merci à Solange, Patrick, Guillaume et les autres), la communauté de l’Enseignement Supérieur et la Recherche a pu ralentir voire infléchir les changements imposés par le nouveau management public (comme dirait ma co-SeM Marie-Virginie) et la situation n’est pas aussi dramatique qu’elle l’est au Royaume Uni (war against humanities ) ou dans les Pays-Bas (the Academic Manifesto). Mais nos collègues jeunes chercheurs, jeunes ingénieurs, techniciens et administratifs payent un lourd tribu au développement de la recherche sur projets, qui, en absence de crédit récurrent, est devenu un système coûteux, contre-productif, réductionniste, faussement d’excellence, fabricant des précaires. Les 3 revendications de Sciences en Marche sont une évidence et malgré tout, il faut se battre inlassablement pour obtenir satisfaction, ce que je fais aussi dans mon syndicat le SNTRS-CGT pour défendre les personnels et comme élue à la Commission de la Formation et de la Vie Universitaire de l’Université de Strasbourg pour une autre vision de l’université que celle de l’excellence et de la concurrence.
A l’écoconomie de la connaissance, une alternative est possible et est en train d’émerger partout en Europe, avec les mouvements slow science, la déclaration DORA, la pétition européenne They have chosen ignorance. Certaines valeurs ne sont pas quantifiables, nos valeurs, celles pour une NOUVELLE UNIVERSITE PUBLIQUE et comme le dit the Academic Manifesto : “Workers of all universities: unite !”
Je suis chargé de recherche au CNRS dans un laboratoire de biologie constitué pour la plupart de jeunes équipes. Notre groupe travaille sur les mécanismes moléculaires de réparation de l’ADN au niveau du génome entier. C’est une approche ambitieuse mais très coûteuse. Même si nous n’avons pas eu de problème majeur pour obtenir des financements, ils deviennent de plus en plus compliqués. Ce qui me choque le plus c’est de voir de brillants post-doctorants se battre contre l’inévitable précarité à laquelle très peu échapperont. Des doctorants, la thèse terminée, découragés ou désabusés quittent la recherche pour une orientation complètement différente : une masse de connaissance et de savoir-faire part alors en fumée après 13 à 15 ans de formation et d’investissement.
A 2 ans de la retraite j’aimerai quitter ce métier qui m’a tant apporté, avec l’espoir que la relève est assurée; avec la certitude que la connaissance et son enseignement continueront d’exister à leurs meilleurs niveaux. C’est pour cela que j’adhère à ce projet national de médiation.
Post-doctorante en biologie, je suis actuellement au chômage, ce qui m’a permis de m’investir au maximum dans Sciences en marche ces dernières semaines. Après une thèse en génétique et biologie cellulaire portant sur la mort programmée des cellules, l’apoptose, j’ai choisi d’orienter mon parcours scientifique vers la biologie du développement pour étudier les embryons et les cellules souches. J’ai ainsi passé plus de 4 ans à l’Institut Curie où j’ai étudié le développement des crêtes neurales, qui sont les cellules à l’origine de nombreux tissus chez l’adulte (structures cranio-faciales, système nerveux périphérique…). Je suis passionnée par la recherche et j’ai enseigné à l’université tout au long de mon parcours, mais actuellement je n’ai aucune perspective d’avenir à long terme. Je devrais pouvoir trouver sans trop de difficulté un second postdoc dans un autre laboratoire, mais cela ne durera qu’un temps. Au cours des années qui viennent, je passerai les concours de Maître de Conférence (si des postes correspondent à mon profil) et les concours du CNRS et de l’INSERM (si mon dossier de publications le permet), mais en raison du nombre ridiculement petit de postes ouverts au concours, les chances d’en décrocher un sont minimes. Je me suis donc tout de suite sentie concernée par le mouvement Sciences en Marche, qui je l’espère nous permettra d’être entendus. J’ai encore envie de garder espoir et de continuer dans cette voie que j’ai choisie depuis le lycée et qui me correspond parfaitement.
Directrice de recherche au CNRS, je travaille à Roscoff,Bretagne Nord, sur le développement des algues. Ayant effectué ma thèse au CNRS de Gif/Yvette, puis partie en post-doc en Angleterre, j’ai pu toujours mener des recherches riches de moyens, dans lesquelles seules les idées et la motivation de les réaliser étaient, en apparence, les moteurs de mes recherches.
Alors qu’à l’époque et les années suivantes j’encourageais vivement mes jeunes collègues ou stagiaires à s’investir pleinement dans ce fascinant métier, depuis 2 ans maintenant, je ne leur dis plus rien, embarrassée, à court d’arguments… Je n’ose leur dire de renoncer, car cela serait contre nature : pourquoi encourager les jeunes à renoncer à apprendre, découvrir, enrichir l’humanité de connaissances ?
C’est pourquoi je me suis inscrite dans ce mouvement « Sciences en Marche ». Peut-être serons-nous dans quelques années, nous les privilégiés de ce temps passé où l’on aspirait juste à remplir notre mission à la hauteur de ce qu’en attend une société éduquée et tournée vers l’avenir (tâche déjà énorme !), ces chercheurs âgés, seuls dans leur labo, entourés d’équipement sous-utilisés et fatigués de s’être débattus pendant des années contre l’aberration d’un système de gestion et de financement de la recherche qui tous les jours se tire une balle dans le pied (nous !), et s’ampute de ses possibilités de régénération (i.e. les doctorants et post-doc expatriés).
Mais en attendant, pour tenter une fois de plus que cela n’arrive pas, j’ai rejoint « Sciences en Marche ».