Financement des laboratoires

Communiqué de presse : Financement de la recherche publique: derrière la communication gouvernementale, la catastrophe pour les laboratoires publics.

Montpellier, le 18 août 2014

Les résultats finaux de l’appel générique 2014 de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) sont disponibles depuis la fin juillet. Le bilan pour les laboratoires français de recherche publique est catastrophique, alors même que l’ANR est progressivement devenue leur principale source de financement: seuls 8,5% des projets soumis seront financés (1)! La situation de pénurie que nous vivons démobilise les personnels, qui se sentent floués, de nombreux laboratoires n’ayant plus les moyens de travailler.

Rappelons que le mode de financement historique des laboratoires publics français se fait par une dotation de base, reçue annuellement des tutelles (CNRS, Universités, autres organismes publics). L’ANR a été initialement créée en 2005 pour complémenter ces dotations de base, dans le cadre de projets ambitieux, de partenariats entre laboratoires ou public-privé. L’asphyxie budgétaire progressive des organismes de tutelle a conduit au cours des deux dernières décennies à une très forte érosion des dotations de base (2). Ainsi, loin d’être restée une Agence de financements complémentaires, l’ANR est devenue la source majeure de financements des laboratoires dans de nombreuses disciplines (3). Au delà de la communication officielle qui prétend « sanctuariser la recherche » (4), la combinaison du très faible niveau de financement par dotation de base des laboratoires et du taux de succès dérisoire de l’appel d’offre ANR 2014, met une majorité de laboratoires dans une situation intenable qui nuit au développement de leurs recherches.

Pourtant, comme le faisait remarquer Vincent Berger, rapporteur général du comité de pilotage des Assises de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (5),  » […] on est allé beaucoup trop loin dans le financement sur projets. Il est contre-productif de rémunérer des personnels sans leur donner les moyens de travailler. » Ainsi, le CNRS, principal organisme de recherche français, n’a plus les moyens de financer la recherche dans ses laboratoires, puisque 80% de sa subvention d’état en 2013 finançait la masse salariale, soit plus de 2 milliards d’euros (6). L’absurdité de la situation va même au delà. En considérant qu’il faut en moyenne au moins 10 jours de travail (hypothèse basse) pour écrire, traiter administrativement et évaluer chacun des 8300 projets soumis à l’appel d’offres générique de l’ANR, ce sont plus de 200 années de travail, payées par le contribuable français, qui sont ainsi parties en fumée dans une quête vaine de moyens pourtant nécessaires.

Pour mettre fin à cette situation de pénurie et de gaspillage, nous demandons le retour à un niveau de financement récurrent couvrant les projets courants des laboratoires. La situation est tellement catastrophique que nous estimons qu’un triplement des dotations de base allouées par les organismes de recherche aux laboratoires est nécessaire pour redonner une compétitivité à notre recherche. Le coût annuel d’une telle mesure serait néanmoins très modeste, de l’ordre de 600M€, soit à peu près le budget annuel du club de foot Paris Saint-Germain (7). Les projets particulièrement ambitieux, ou associant plusieurs équipes en collaboration, pourront alors obtenir des financements complémentaires via l’Agence Nationale de la Recherche. Un plan pluriannuel impliquant la création annuelle de plusieurs milliers d’emplois statutaires à tous les niveaux de l’enseignement supérieur et de la recherche complètera ce dispositif, pour redonner confiance et perspectives aux jeunes scientifiques. Il sera détaillé dans notre prochain communiqué.

Les moyens existent pour conduire cette politique, ne serait-ce qu’au travers d’une redéfinition et d’un redéploiement partiel du Crédit Impôt Recherche (CIR), afin de mieux soutenir les entreprises innovantes, notamment les TPE/PME, la recherche publique et l’enseignement supérieur. Pour mémoire, de multiples rapports démontrent qu’une large partie du CIR est devenue au fil du temps une simple niche fiscale sans impact significatif sur l’effort de recherche du pays (8). Une réallocation de moins de 10% du CIR vers la recherche publique permettrait de financer l’augmentation des dotations de base aux laboratoires proposées ici. Les scientifiques de notre pays doivent pouvoir contribuer efficacement à sortir de la crise économique et morale que nous traversons. Il faut leur en donner les moyens par une politique ambitieuse de recherche, de formation supérieure et d’innovation.

Notes:
1) les résultats de la première phase de sélection sont disponibles à l’adresse: http://www.agence-nationale-recherche.fr/financer-votre-projet/plan-d-action-2014/donnees/. Sur les 8338 projets admissibles soumis, 2804 (33,6%) ont été sélectionnés pour la seconde phase. Les résultats de la deuxième phase sont disponibles à l’adresse: http://www.agence-nationale-recherche.fr/financer-votre-projet/plan-d-action-2014/resultats/. 711 projets ont été finalement sélectionnés pour financement (8,5%).
2) Pour prendre le CNRS comme exemple, la dotation de base aux laboratoires de cet organisme était de 166,5M€ en 2004 (équivalent à 194M€ en euros constants 2013: source: www.cnrs.fr/cw/fr/accu/notedu0401.doc) pour seulement 145,2M€ en 2014 (source: http://www.cnrs.fr/insis/infos-DU/docs/docs2014/DU2014/DGDR.pdf). Les deux chiffres ne sont toutefois pas directement comparables, les charges d’infrastructure des laboratoires (entretien des bâtiments, électricité, eau) étant à la charge des laboratoires en 2014, alors qu’ils ne l’étaient pas en 2004. Ainsi, la décroissance apparente de 26% des dotations aux laboratoires entre 2004 et 2014 est une sous-estimation probablement forte de la réalité.
3) Cette extension de fait des missions de l’ANR a été néanmoins accompagnée par une réduction annuelle significative de budget d’intervention 2008 (source: rapport de la cour des comptes sur le financement de la recherche publique, 2013). En 2014, cette baisse du budget ANR a atteint le montant record de plus de 80M€.
4) Geneviève Fioraso, conférence de presse du 7 novembre 2012, sortie de conseil des ministres. A noter que la secrétaire d’état à la Recherche et l’Enseignement supérieur, s’est également félicitée en toute mauvaise foi d’un taux de succès à l’appel d’offres ANR supérieur à celui de l’année dernière, en omettant de mentionner que les modes de calcul diffèrent. En effet, les pourcentages de réussite affichés par la secrétaire d’état ne correspondent qu’au deuxième tour d’évaluation (donc après que près de 70% des dossiers ont été éliminés).
5) Rapport de l’OPECST « quelles conclusions législatives et réglementaires tirer des assises de l’enseignement supérieur et de la recherche ? » 4 décembre 2012.
6) soit 2130M€, sur une subvention d’état globale de 2613 M€. Source: le CNRS en Chiffres 2013: http://www.dgdr.cnrs.fr/dsfim/chiffres/2013/default.htm.
7) Considérant que le CNRS représente approximativement 50% de l’effort de recherche de la France, et que la dotation aux équipes est de 145,9M€ en 2014 (soit seulement 5,7% de la subvention d’état!), le coût du triplement de la dotation CNRS serait de 290M€/an. Le coût du triplement des dotations de tous les organismes serait de l’ordre de 600M€. Ces sommes représentent 10% du CIR.
8) Le Crédit Impôt Recherche a un coût de près de 6 milliards d’euros en 2014. Parmi les critiques de ce dispositif voir par exemple le rapport de la Cour des Comptes 2013: http://www.ccomptes.fr/Actualites/A-la-une/L-evolution-et-les-conditions-de-maitrise-du-credit-d-impot-en-faveur-de-la-recherche.

Pour télécharger ce communiqué : Sciences_en_Marche – Communiqué de presse -financement-de-la-recherche