SeM au sommet du Mont Blanc: le récit de l’aventure

L’idée de porter le drapeau de Sciences en Marche au sommet du Mont Blanc est née avec le sondage sur les suites à donner au mouvement en juin. C’était également pour nous une façon de concilier notre amour de la science et notre passion de l’alpinisme. Après tout, tant la recherche scientifique que l’alpinisme nécessitent le goût de l’effort et du dépassement de soi. Et puis, qui sait, peut-être que de là-haut, notre Gouvernement nous entendra ? Le fait qu’une délégation Sciences en Marche rencontre le secrétaire d’État le même jour que notre ascension nous a beaucoup motivé !

Une fois l’idée émise, il a fallu réunir l’équipe. Le mot fut passé. Visiblement l’idée a séduit quelques alpinistes-chercheurs. Le challenge permit de réunir huit personnes. Doctorants, chercheurs, enseignant-chercheurs, enseignants, physique, biologie, écologie, sciences humaines… L’équipe est variée, aux compétences diverses mais complémentaires. Six femmes, deux hommes dont la plupart ne se connaissait pas…

Fanny Gascuel, doctorante en écologie (ENS Paris/Collège de France)

Adèle Gascuel, doctorante en lettres modernes (ENS Lyon)

Lionel Aigouy, chargé de recherche en physique (Laboratoire de Physique et d’Étude des Matériaux, Paris)

Anne-Soisig Steunou, chargée de recherche en microbiologie (Institut de Biologie Intégrative de la Cellule, CNRS, Gif-sur-Yvette)

Michèle Chevalier, maître de conférences en physico-chimie (Institut des Sciences Moléculaires, Université Paris Sud)

Guillaume Blanc, maître de conférences en astrophysique, (Laboratoire de l’Accélérateur Linéaire (Orsay), Université Paris Diderot)

Valérie Robin, professeur d’EPS (Briançon)

Alexia Coudray, professeur d’EPS (Orange)

Avec un été particulier en montagne, où la canicule a fait fondre certaines zones qui ne dégelaient jamais auparavant, beaucoup d’éboulements se sont produits en particulier dans le massif du Mont Blanc, rendant sa fréquentation dangereuse. La voie normale pour accéder au sommet du Mont Blanc passe par l’Aiguille du Goûter et franchit un couloir (le « Grand Couloir ») où les chutes de pierres sont fréquentes. Habituellement, il est facile de le traverser en étant attentif aux pierres qui tombent ; cet été, il était particulièrement dangereux, au point que le refuge du Goûter a été fermé pour dissuader les alpinistes de passer par là. La fin du mois d’août a vu des conditions météorologiques plus fraîches, le passage est redevenu fréquentable, le créneau que nous avions prévu pour faire l’ascension devenait possible. Le refuge du Goûter étant à réserver des mois à l’avance, les conditions incertaines d’un jour à l’autre, nous avons décidé de privilégier la souplesse et donc nous avions prévu de bivouaquer autour du refuge de Tête Rousse, 600 m plus bas. Mais en appelant le refuge le matin même, il restait des places en nombre suffisant, nous avons donc dormi au refuge, tout en montant notre nourriture.

Nous avions fixé la montée au refuge au mardi 25 août, lendemain d’une grosse perturbation qui a saupoudré les montagnes de neige au-dessus de 3500 m.  Le rendez-vous avec l’ensemble de l’équipe fut pris au Nid d’Aigle, entre ceux qui sont montés à pieds depuis Bionnassay, ceux qui sont venus en train à crémaillères de St Gervais, ou encore ceux qui sont montés en téléphérique depuis les Houches. Tous ensemble nous effectuons la montée de 900 m qui nous sépare encore du refuge. Cadre minéral, mais des myriades de bouquetins viennent saluer la foule des alpinistes qui montent.

Le refuge de Tête Rousse est dominé par l’Aiguille du Goûter sur laquelle trône le refuge du même nom, paroi qu’il faudra grimper le lendemain. Mais il est également dominé par la face nord, glaciaire, de la superbe aiguille de Bionnassay. Son horizon ouest est dégagé et donne sur les Aravis et la chaîne des Fiz. Après quelques volutes nuageuses dans les fonds de vallées, le temps est ici clair. Nous aurons droit à un somptueux coucher de soleil. Le refuge est plein à craquer, mais la foule bigarrée qui le fréquente (Mont Blanc oblige) rend la chose froide et impersonnelle. Mais nous sommes heureux d’être là, ensemble. Nous en profitons pour faire des photos avec l’Aiguille de Bionnassay en arrière plan et pour échanger sur nos domaines de recherche respectifs.

Mercredi 26 août : réveil à 3h. Petit-déjeuner au réchaud avec l’eau que nous avons été cherché la veille au niveau du bout de glacier qui subsiste à proximité. 4h, nous partons, harnachés de nos baudriers, le casque sur la tête. À la lueur des frontales, nous franchissons le fameux couloir sans encombre, avant de grimper dans les rochers faciles. Quelques câbles sont là pour aider, et le rocher poli par la multitude d’alpinistes passés là en crampons ne laisse aucun doute sur le chemin à suivre. Deux heures plus tard, nous arrivons sur l’arête de l’Aiguille du Goûter au niveau de l’ancien refuge. Le jour se lève et l’autre côté de l’arête révèle un spectacle comme seule la nature en est capable : la partie est du massif (Aiguille du Midi, Aiguille Verte, Droites, Courtes…) est littéralement embrasée dans des lueurs couleurs braises. La partie la plus technique est passée. Les frontales sont reléguées dans le sac, nous chaussons les crampons pour poursuivre tranquillement. Il suffit de suivre la trace dans la neige. Sur la pente du Dôme du Goûter, nous franchissons les 4000 m d’altitude. Sous le Dôme, nous sommes accueillis par le soleil, en plus de découvrir enfin la majestueuse face nord du Mont Blanc, que nous gravirons par son côté droit, l’arête des Bosses. Plus loin, au refuge Vallot (4362 m), Fanny, fatiguée, décide de s’arrêter pour nous y attendre. Nous poursuivons doucement jusqu’au sommet, l’altitude ralentissant le pas, le vent glacial mordant à travers les couches de vêtements. L’arête est sublime, succession de murs raides et de replats. Et puis, d’un coup, c’est le sommet, vaste, dominant le panorama, et… blanc !

Le temps est splendide, le panorama, bien qu’écrasé par le côté indéniablement culminant du sommet, est limpide. Il est environ 10h30.

Nous faisons la photo avec la banderole, avec vue d’un côté, puis de l’autre… Et l’envie de descendre pour retrouver un peu de chaleur fini par se faire sentir. S’ensuit la longue descente… Un arrêt à Vallot pour récupérer Fanny, puis repasser le Dôme, descendre sous l’Aiguille du Goûter, sans se déconcentrer. Pause au refuge de Tête Rousse pour boire un coup et récupérer quelques affaires. Et dernier tronçon jusqu’au Nid d’Aigle où nous prenons tous le train pour retourner dans nos vallées respectives.

Porter Sciences en Marche au sommet du Mont Blanc, outre le fait que c’est une belle course, demandant une bonne forme physique, est emblématique à plus d’un sens. D’une part, et la quantité d’alpinistes accrochés sur ses flancs, le sommet, toit de l’Europe Occidentale, le prouve, il bénéficie d’une aura certaine parmi le commun des mortels. Par ailleurs, il fait l’objet de permanentes études scientifiques : les chercheurs, qu’ils soient spécialistes des glaciers, de la physiologie de l’altitude, de l’atmosphère, etc, fréquentent régulièrement l’observatoire Vallot juste à côté du refuge des alpinistes, bâtiments construits à la fin du XIXe par le mécène scientifique Joseph Vallot. Et si l’étude du ciel n’y est plus d’actualité, l’astronome Jules Janssen avait tenté d’installer un observatoire du soleil au sommet de la calotte en 1893. Mais compte tenu des mouvements de la glace sur laquelle il prenait assise, au bout d’une quinzaine d’années à tenter de corriger son assiette, il finit par être englouti par la glace. Donc porter la bannière de Sciences en Marche au sommet, c’est aussi un clin d’œil à toute cette science qui se fait ou s’est faite là-haut. Rien ne peut arrêter la quête de connaissance scientifique, pas même la haute montagne (dans le respect de celle-ci), et les conditions peu humaines qui y règnent.

Au final, outre le succès de l’entreprise, nous avons tous vécu une courte mais intense expérience humaine. Par cette ascension, nous avons créé une solidarité entre nous, un lien que nous n’oublierons pas !

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