Communiqué de Presse Montpellier, le 26 juin 2017
Sciences en Marche a conduit une enquête en ligne à l’automne 2015 auprès des personnels contractuels et vacataires de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR). Plus de 5500 personnes, majoritairement des docteurs, doctorants et diplômés de master, en CDD ou vacataires dans les laboratoires et universités publics, ont témoigné sur leur situation professionnelle et son impact sur leur vie privée.
Au moment où le Président de la République invite les chercheurs étrangers à s’installer dans notre pays en mettant en avant: » a welcoming environment to help them fulfill their goals and reach great scientific achievements », les résultats de cette enquête suggèrent que la dégradation de l’emploi scientifique public conduit actuellement à une démotivation des plus jeunes – et normalement plus dynamiques – acteurs de ce secteur vital pour notre pays. Les commentaires révèlent la détresse d’une génération qui se sent sacrifiée.
Si l’Etat est le premier responsable de la crise actuelle de l’emploi scientifique, le secteur de la R&D privée, trop éloigné du monde académique et peinant à investir en dépit du très généreux Crédit d’Impôt Recherche dont il bénéficie, partage cette responsabilité.
Nous espérons que le nouveau chef de l’état, qui semble sensible à l’importance géopolitique et économique de la recherche scientifique et de l’enseignement supérieur, aura à coeur de mettre en place une politique qui redonnera à la recherche scientifique et à l’enseignement supérieur son attractivité auprès des jeunes.
Ce document formule des propositions pour résorber à brève échéance les situations professionnelles les plus critiques, et pour augmenter et diversifier à plus long terme les débouchés publics et privés des non permanents de l’ESR, afin de faire pleinement bénéficier la société de leur expérience, et de ne pas reproduire la situation actuelle.
Ces recommandations ont pour ambition d’amorcer une réflexion plus large sur le rôle et la place des scientifiques et des laboratoires publics dans la société. Nous appelons le Ministère de la Recherche, de l’Enseignement Supérieur et de l’Innovation à organiser une large conférence nationale sur l’emploi scientifique afin de repenser l’ensemble de la structure et des flux de l’emploi scientifique au sein de l’ESR, et avec les autres administrations de l’état et le secteur de la R&D privée.
Du succès de cette conférence et de la mise en oeuvre de ses conclusions, plus que d’effets d’annonces médiatiques, dépendra l’attractivité nationale et internationale des laboratoires et universités françaises.
Résultats principaux de l’enquête Sciences en Marche 2015 sur les non-permanents de l’ESR
L’enquête décrit les conditions d’emploi d’une population de plus de 5500 répondants qui comptent parmi les personnes les mieux qualifiées de leur génération : 92% sont diplômées d’un master, 57% d’entre elles ayant de plus un doctorat. Les répondants sont donc très majoritairement des cadres. La plupart consacrent leur activité à la recherche, seuls 8% des répondants étant enseignants contractuels (ATER) ou vacataires. Toutes les disciplines sont représentées, avec une nette surreprésentation des sciences biologiques.
L’emploi sur contrat temporaire (CDD, vacations), souvent présenté comme une phase transitoire de début de carrière, constitue pour beaucoup de répondants une situation durable dont la sortie est difficile. Ainsi près de 50 % des répondants ayant leur dernier diplôme depuis 3 à 5 ans n’ont passé aucun concours de la fonction publique, considérant sans doute que la compétition pour le petit nombre de postes ouverts au concours rend leur dossier insuffisamment compétitif. Le fort cloisonnement entre secteurs public et privé (80% des doctorants et post-docs n’ont aucune expérience dans le privé, moins de 5% des contractuels de l’ESR sont rémunérés par des industriels) limite également les candidatures dans le privé. Ce double obstacle crée un engorgement qui prolonge la période d’emploi non-permanent, dont le financement est assuré par de multiples sources, l’Agence Nationale pour la Recherche ne couvrant que 20% des contrats à durée déterminée des répondants.
Les conditions d’emploi non-permanent sont souvent inadaptées, contre-productives, voire indignes. Alors que la haute technicité des métiers scientifiques demande une certaine stabilité des personnels, plus de 40% des post-docs et 60% des ITAs ont un contrat de travail d’une durée inférieure à un an. 60% des vacataires d’enseignement, une population particulièrement fragile, sont payés plus de 4 mois après leurs enseignements. Le chômage est même devenu partie intégrante des carrières scientifiques, y compris pour celles et ceux qui réussissent à obtenir un poste de titulaire ou de CDI dans l’ESR : 70% des titularisés après 2011 ont connu une période de chômage, contre 30% des titularisés avant 2001. Ces conditions d’emploi dégradées, souvent précaires, impactent fortement la vie personnelle. Seuls 40% des répondants non permanents de la tranche d’âge 31-40 ans ont des enfants, contre 60% des répondants sur poste permanent de la même tranche d’âge. On ne peut dès lors s’étonner de la désaffection croissante pour les formations par la recherche, en particulier le doctorat[1].
La loi Sauvadet a été promulguée pour résorber les situations d’emploi précaire dans la fonction publique. Si elle a été efficace pour les personnels des catégories B et C, peu représentés dans l’enquête, ses conditions d’application sont rejetées par 80% des répondants, principalement des catégories A/A+ où les CDIsations et titularisations ont été très rares. Les conditions d’application opaques de cette loi sont vécues par les répondants comme imposant des limites excessives à la période d’emploi non-permanent, sans pour autant faciliter leur accès à un emploi permanent. L’impression qui ressort des commentaires est que de nombreux non-permanents préfèrent continuer à exercer leur métier dans des conditions précaires plutôt que se réorienter vers d’autres carrières plus stables.
Néanmoins, celles et ceux, principalement des docteurs, qui se sont dirigés vers le privé, initialement souvent par défaut, et y ont obtenu un emploi sont souvent satisfaits, leur expérience de recherche y étant bien reconnue. Certain-e-s n’hésitent pas à dire que le passage dans le privé a été leur meilleure décision professionnelle. Ainsi, une fois franchie la barrière à l’embauche, les parcours de docteurs en entreprise semblent au moins aussi satisfaisants que les carrières académiques. Certains commentaires suggèrent néanmoins des abus dans le secteur privé, concernant par exemple des emplois soutenus par le Crédit Impôt Recherche.
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Globalement, l’enquête révèle un très fort niveau d’angoisse, de démotivation, et de défiance des non-permanents vis-à-vis de leurs conditions d’emploi et de reconnaissance professionnelle dans l’ESR, et de leurs perspectives à long terme. Les commentaires, souvent poignants, révèlent une profonde détresse. La question de l’attractivité de l’ESR est clairement posée.
Résumé des recommandations de Sciences en Marche sur l’emploi scientifique
Les conclusions de cette enquête, et la baisse observée des inscriptions en première année de doctorat, indiquent que la situation actuelle de l’emploi scientifique public conduit à une désaffection et une perte de motivation dans ce secteur vital pour notre pays.
Les recommandations suivantes forment une base de discussion pour une nécessaire conférence nationale sur l’emploi scientifique. Elles illustrent la complexité du problème, et la difficulté de le circonscrire au seul périmètre de l’ESR. C’est l’ensemble de la structure et des flux de l’emploi scientifique dans l’ESR, les autres services de l’état et le secteur de la R&D privée qu’il convient de repenser, pour renforcer l’attractivité et les débouchés des carrières scientifiques. Il faut à la fois trouver des solutions rapides pour résoudre les nombreuses situations professionnelles actuelles dramatiques, et réfléchir sur le long terme pour que la même situation ne se reproduise pas dans quelques années.
1) Les missions permanentes doivent être assurées par des fonctionnaires
Actuellement, on estime qu’environ 25000 personnels, principalement ITA, remplissent des missions non limitées dans le temps. Les limites, nécessaires dans le contexte français, à la durée de l’emploi non permanent conduisent à écarter de manière injuste de l’emploi des personnels compétents souvent de haute technicité. Elles forcent également les laboratoires à une perte de temps conséquente, devant sélectionner puis former de nouveaux personnels. Nous proposons de titulariser les personnels non permanents assurant des missions permanentes depuis plusieurs années par des dispositifs particuliers du type des « examens professionnels réservés »[2] mis en place dans le cadre de la loi Sauvadet, en veillant à ce que le nombre, la nature et le financement public des postes ouverts permette de résorber effectivement l’emploi non permanent sur missions permanentes sans mettre en difficulté financière les établissements employeurs.
2) Mettre en place un observatoire de l’emploi scientifique, centralisant les efforts insuffisants actuels et doté des moyens et compétences nécessaires au recensement précis sur le long terme du nombre global de personnels de l’ESR contractuels et vacataires, de leurs conditions de travail, de la durée des contrats, de la pérennité des fonctions occupées, de leur niveau de responsabilité et de satisfaction et de leur historique d’emploi. Cet observatoire, doté d’un pouvoir d’auto-saisine, aura aussi pour mission de documenter l’origine et le cursus des personnels titulaires, le niveau de mobilité entre l’ESR, les autres services de l’état et le secteur privé, et les niveaux de responsabilités atteints dans ces secteurs.
3) Mettre en place un plan pluriannuel ambitieux d’emploi titulaire dans l’ESR, concernant les établissements d’enseignement supérieur et les organismes de recherche. Dans l’enseignement supérieur, il doit a minima permettre une croissance de l’emploi titulaire équivalente à celle de la population étudiante afin, toujours a minima, de maintenir le taux d’encadrement actuel déjà insuffisant. Dans les organismes, ce plan doit soutenir le nécessaire rajeunissement des personnels chercheurs et de soutien à la recherche. La création de 5000 postes nouveaux par an (en plus du remplacement des sortants) est proposée pour un coût d’environ 11 milliards d’euros sur la période 2018-2025, qui peut être financé en partie par un meilleur encadrement du Crédit Impôt Recherche, et en partie par une diminution de l’enveloppe dédiée à l’emploi contractuel.
4) Faciliter l’accès des non-permanents de l’ESR à des carrières attractives dans les autres administrations et dans le secteur privé. L’emploi dans l’ESR doit être considéré comme une formation par la recherche autant que pour la recherche. Un accroissement de la mobilité des personnels de l’ESR vers des postes attractifs dans le secteur privé et les trois fonctions publiques contribuerait à la fois à la résorption de la précarité dans l’ESR et améliorerait la pénétration de la culture et des méthodes scientifiques dans les entreprises et les services de l’état. Nous proposons pour cela d’améliorer la connaissance de l’entreprise apportée par les formations universitaires généralistes, de développer le dispositif CIFRE, notamment en direction des services de l’état et des associations[3], de conditionner ou plafonner l’éligibilité au Crédit d’Impôt Recherche à l’emploi de jeunes docteurs, de faciliter les recherches partenariales et les échanges de personnels entre l’ESR et le privé, et de faciliter l’accès des jeunes docteurs aux grands corps d’état.
5) Améliorer les conditions d’emploi non-permanent dans l’ESR. Les circuits de paiement des contrats et vacations universitaires doivent être optimisés, et les non permanents rémunérés à un niveau de salaire au moins égal à celui des titulaires de qualification et expérience professionnelle équivalente. Leur niveau de protection sociale doit atteindre celui des contractuels du secteur privé. Nous proposons d’améliorer le suivi Ressources Humaines des contractuels de l’ESR pour les aider à définir leur projet professionnel, et leur éviter un enfermement dans l’emploi non permanent et mettre à disposition à tous les niveaux de qualification des formations de type doctoriales à la valorisation des expériences de recherche. Tout en respectant la durée maximale légale d’emploi en CDD à 6 ans, la durée moyenne des CDD doit être allongée pour permettre l’aboutissement des missions confiées. Enfin, nous prônons une meilleure reconnaissance par les permanents du travail et de l’implication de leurs collègues contractuels et vacataires.
6) Mieux penser les mesures de résorption de la précarité dans l’ESR. Si les lois Le Pors et Sauvadet ont permis la titularisation de milliers de contractuels dans les universités, elles ont eu peu d’impact dans les EPST par manque de moyens alloués pour son application (budgets, nombre d’emplois titulaires). Elles ont par ailleurs été principalement efficaces pour les agents de catégories C et B, beaucoup moins pour les catégories A, et n’ont que très marginalement concerné les catégories A+. La loi Sauvadet a par ailleurs été l’objet d’interprétations diverses (Exemple : la position jusqu’en 2015 de l’INRA sur la période de la thèse), et de la mise en place par les administrations de mesures « d’autoprotection » plus strictes que la lettre de la loi, notamment pour les post-doctorants. Les succès et échecs de cette première expérience doivent être analysés en détail avant toute nouvelle tentative de résorption de la précarité dans l’ESR par voie législative.
ECHOS de l’enquête dans la PRESSE:
-Science Careers 7 aout 2017: http://www.sciencemag.org/careers/2017/08/toll-short-term-contracts
-Le Monde Science 13 juillet 2017: http://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/07/13/une-photographie-de-la-precarite-dans-les-laboratoires_5159873_1650684.html
-« No future ? » https://academia.hypotheses.org/3348
- http://huet.blog.lemonde.fr/2017/06/29/leffort-de-recherche-francais-stagne/
- http://blog.educpros.fr/doctrix/files/2017/06/270617-bilan-enquete-SeM-Emploi-non-permanent.pdf
– AEF L’ANR a une part « minoritaire » dans les contrats temporaires de l’ESR (enquête de Sciences en marche)
Par René-Luc Bénichou – Le vendredi 30 juin 2017 – dépêche n°564779
Sciences en marche publie les résultats d’une enquête sur « les conditions d’emploi des personnels non permanents de l’enseignement supérieur et de la recherche », mardi 27 juin 2017, dont la principale conclusion retenue par le collectif est qu’elle reflète « la détresse d’une génération qui se sent sacrifiée ». « L’éclatement des sources de financements » des contrats temporaires et « la part minoritaire de l’ ANR » dans ces contrats sont deux enseignements que livre l’enquête, à laquelle ont répondu « plus de 5 000 personnes ». Le rôle de l’ANR « est donc plus faible que nous ne nous y attendions », constate ainsi Sciences en marche. Par ailleurs, les réponses soulignent que telle qu’elle est mise en œuvre dans l’ ESR , l’application de la loi Sauvadet est « néfaste ou gênante ».
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[1] http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/reperes/telechar/rers/rers2016/rers-2016chap111.pdf
[2] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027530623&dateTexte=&categorieLien=id
[3] Par exemple: http://www.hesam.eu/blog/1000-doctorants/