Compte rendu de l’entretien au Ministère des Finances tenu à l’issue le la manifestation ESR du 16 octobre
Rédigé par P. Lemaire représentant de l’association Sciences en Marche.
A l’arrivée du cortège de la manifestation parisienne du 16 octobre devant le ministère des finances, une délégation de 10 membres de syndicats de personnels et étudiants, et de Sciences en Marche a été reçue pendant 1 heure 30 par, François Adam, directeur adjoint du cabinet de Christian Eckert, secrétaire d’Etat au Budget auquel se sont joints Jean-Baptiste Prévost, conseiller social et vie étudiante auprès de Thierry Mandon, secrétaire d’état à la Recherche et l’Enseignement Supérieur, ainsi qu’un membre plus junior du ministère des finances, qui a pris des notes sans participer à la discussion.
Le panorama des points abordés par une délégation aux points de vue multiples et complémentaires a été très large, allant de la vie étudiante (capacité d’investissement des CROUS par exemple), au financement de la recherche et des universités (entre autres, baisse des CPER, augmentation du nombre d’étudiants), aux non-recettes induites par le Crédit Impôt Recherche. Ce compte rendu ne vise pas à faire un compte rendu exhaustif de l’ensemble des discussions, mais à mettre en avant quelques éléments que j’ai trouvés particulièrement intéressants.
1) le budget de l’ESR dans la PLF2016 et le CPER.
- Adam conteste qu’une priorité n’est pas donnée à la jeunesse et à sa formation, et indique que dans un cadre budgétaire très contraint par la réduction des déficits publics, le soutien à l’ESR a été préservé: A la non reconduction des prélèvements sur les fonds de roulement des universités (100M€), s’ajoute un effort budgétaire supplémentaire de 65 M€. L’augmentation proposée de budget par rapport à la PLF2015 au même stade de la discussion est donc au plus de 65M€.
Aux remarques de la délégation indiquant que cette très faible hausse budgétaire n’est même pas suffisante pour compenser l’augmentation du nombre d’étudiants à la rentrée 2015 (les estimations actuelles seraient de 38000 étudiants approximativement, et non 65000 comme annoncé initialement), la réponse est qu’il est conscient que le budget proposé « ne règle pas l’ensemble des problèmes » et qu' »il n’est pas exact que tout va bien » dans l’ESR.
A la remarque que les dépenses qui ne sont pas faites aujourd’hui constituent une bombe à retardement pour le futur, F. Adam acquiesce et confirme que le budget « ne prétend pas non plus apporter une solution aux besoins dans les années qui viennent ».
- Adam indique ensuite que 1.2 Md€ sont disponibles sur le CPER pour la période à venir, mais n’est pas plus capable de donner les chiffres de la période précédente (~2Md€) que M. Prévost. La délégation rappelle que la baisse de budget sur le CPER de la période 2015-2020 atteint 850M€.
Pour ce qui est des gels de crédits en cours d’année, F. Adam assume la constitution d’une réserve de précaution (dont le % est plus faible dans l’ESR que dans d’autres ministères) pour faire face aux crises imprévues qui peuvent survenir. Les migrants et la crise du monde agricole sont donnés en exemple pour 2015, ce à quoi la délégation rappelle que les universités et la recherche publique sont aussi en crise, même si nous n’avons pas de tracteurs pour le montrer. La remarque n’est pas relevée.
2) Les liens étroits (et les traitements contrastés) entre budget ESR et Crédit Impôt Recherche
Du fait de la mention répétée de l’objectif de réduction des déficits publics qui contraint le budget de l’état, une partie de la discussion a porté sur l’importance d’assurer un montant de recettes suffisant à l’Etat. Le Crédit Impôt Recherche (CIR) a donc été discuté assez longuement, puisque ce dispositif est appuyé sur les chapitres 150 et 172 du budget et induit une non recette annuelle supérieure à 5Md€.
- Adam a confirmé que la politique du Président et du gouvernement est de « sanctuariser » le CIR (dont le seul amendement accepté en discussion de la PLF2006 a porté sur une augmentation de l’assiette). Interrogé plus précisément sur les indicateurs permettant d’affirmer que ce dispositif couteux était bien efficace alors que l’investissement R&D des entreprises stagne, F. Adam a indiqué qu’il n’était pas un « spécialiste mondial du CIR », et qu’il ne savait pas non plus qui l’était au sein du gouvernement (« Il n’y a pas des travaux d’économistes sur ce sujet? »). M. Prévost a confirmé à cette occasion que l’association Sciences en Marche, qui en a fait la demande, aurait accès à la base de données GECIR.
Une discussion intéressante s’en est ensuivie sur les différents sens possibles du verbe « sanctuariser ».
Dans le cas du budget de l’ESR, « sanctuariser » consiste à garder une enveloppe budgétaire constante, indépendamment de l’augmentation des coûts réels (augmentation mécanique de la masse salariale du fait du glissement de la pyramide des âges, ou gvt; augmentation des coûts d’infrastructure, énergétiques notamment). A titre d’exemple, aucun de nos interlocuteurs ne savait quelle était la part du budget du CNRS réellement distribué aux laboratoires comme budget de fonctionnement après soustraction des incompressibles (masse salariale, frais d’infrastructure, grands équipements, etc.). Les chiffres avancés (10 à 15% de la dotation d’état) étaient 2 à 3 fois supérieurs à la réalité (~5% ou 150 millions d’euros). Ce chiffre leur a fait prendre conscience de la fragilité des budgets des laboratoires à toute augmentation – même minime – des frais incompressibles, ou à toute diminution – même minime – de la dotation d’état. La situation est très similaire dans les universités, et explique que seule une partie des 1000 « postes Fioraso » aient été pourvus (non contesté par nos interlocuteurs), les universités n’ayant d’autre choix que d’utiliser l’argent mis à disposition dans le cadre de ce dispositif pour leur fonctionnement ou la couverture du gvt. Les tergiversations gouvernementales lors des débats PLF2015 puis la ponction des fonds de roulements en cours d’année ont de plus créé un sentiment d’angoisse au sein des présidences d’universités et des directions d’organismes, les conduisant à renforcer les mesures internes d’austérité budgétaire « au cas où ». Dans l’ensemble, la stabilité budgétaire vue du côté de l’état conduit donc à une double instabilité budgétaire du point de vue des opérateurs de l’ESR: à l’augmentation des frais incompressibles s’ajoute le sentiment de ne pas être à l’abri de mauvaises surprises en cours d’année. M. Adam a confirmé que les « Universités sont gérées de manière prudente ».
Dans le cas du Crédit Impôt Recherche, la « sanctuarisation » consiste à garder constant le pourcentage et la nature des frais éligibles remboursés sous forme de créance. Ainsi, le volume de créance suit l’augmentation des coûts réels, salariaux notamment. L’enveloppe globale n’est pas fixée et le gouvernement ne peut que partiellement anticiper le volume de non recette engendrée. De fait, la créance réelle semble continuer à augmenter (5,5Md€ budgétisés en PLF2016 contre 5,3Md€ en PLF2015). La stabilité fiscale vue du point de vue des entreprises induit donc une instabilité des recettes pour l’état.
3) La situation de l’emploi scientifique public.
La délégation fait remarquer que depuis 2006, ce sont 7000 ETPT (Equivalent Temps Plein Travaillés) qui ont été supprimés dans l’ESR. Dans le programme 150 on en est à -680, malgré « l’objectif de création de 1000 postes par an » et la mise à disposition de 3000 « supports d’emplois » depuis 2012 (voir plus haut).
Cette situation, ainsi que la stagnation de l’emploi scientifique dans le secteur privé, conduit à une perte d’attractivité des carrières de chercheurs/enseignants chercheurs. Ce phénomène est d’autant plus inquiétant que le temps de formation est long (Bac +8). Cette perte d’attractivité conduira, comme c’est actuellement le cas dans certaines filières d’enseignement secondaire, à une désaffection des éléments les plus brillants et à un déficit de candidats lorsque le gouvernement en place décidera d’augmenter le niveau de priorité de l’ESR, ne serait-ce que pour assurer un taux d’encadrement raisonnable aux nombreux étudiants supplémentaires prévus dans les années à venir par la Stratégie Nationale d’Enseignement Supérieur (STRANES).
Si le problème de l’emploi, et les dangers de la politique actuelle, semblent reconnus par le ministère des finances, aucune vision stratégique n’est fournie pour y apporter une solution.
Conclusion: un double discours allié à un déficit d’indicateurs de performance des politiques publiques, fiscales en particulier.
En préambule à la discussion, la délégation avait souligné le double discours gouvernemental actuel. D’un côté l’énoncé d’un haut niveau d’ambition pour l’ESR (STRANES, excellence de la recherche), de l’autre des propositions de budget année après année qui font s’enfoncer le secteur dans la paupérisation.
Le niveau de responsabilité des interlocuteurs ministériaux désignés, et le contenu de la discussion ont renforcé l’impression de déconnexion entre affichage médiatique et choix budgétaires.
On peut raisonnablement se poser la question de la myopie stratégique actuelle du gouvernement, puisque le budget proposé « ne prétend pas non plus apporter une solution aux besoins dans les années qui viennent », alors que le Secrétaire d’Etat à l’ESR estime que les besoins supplémentaires des universités, rien que pour le parc immobilier, sont de 10 milliards d’euros sur les 10 ans à venir, et que le nombre d’étudiants devrait progresser de plus de 10%.
La persistance à « sanctuariser » le dispositif CIR, en l’absence d’indicateurs de performance concluants d’une réforme qui a maintenant eu lieu il y a 7 ans, ne peut elle être vue que comme dogmatique. Elle pose de manière aigüe la question de la capacité de l’Etat à appliquer à ses politiques fiscales l’évaluation rigoureuse qu’elle demande à ses laboratoires de recherche et universités.